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Les Nouvelles de Yann
23 avril 2016

Apprécier le temps

Après avoir essayé de démontrer que l'homme peut disposer du temps sans modifier la quantité d'énergie universelle et que, conséquemment, la liberté est possible, M. Delbœuf entreprend ensuite de démontrer sa réalité. Pour cela il suffit, à l'en croire, de démontrer qu'il existe des mouvements discontinus, c'est-à-dire dont le caractère et les propriétés générales ne sont pas identiques en chaque point. Tel serait un arc de courbe continué par sa tangente. Le principe dont part M. Delbœuf est celui de Laplace (et de Leibnitz): «Laplace disait ceci:—Étant données les forces dont la nature (non libre) est animée et la situation respective des êtres qui la composent, une intelligence suffisamment vaste connaîtrait l'avenir et le passé aussi bien que le présent.—Je vais plus loin: Je dis que cette intelligence n'aurait besoin, si la nature est un mécanisme, que de considérer pendant un temps fini, si court qu'il soit, la marche d'une portion de matière, aussi petite que l'on voudra, pour recréer par la pensée la nature entière dans son passé et dans son avenir.» M. Delbœuf soutient, en de belles pages, qu'une goutte d'eau (comme la monade de Leibnitz) reflète l'univers: la considération d'une seule de ses parties constitutives pendant un temps fini donne la forme intégrale du globe terrestre, dont elle suppose l'attraction; la terre donne le système solaire, le système solaire donne le monde entier, et le monde présent est gros de l'avenir comme du passé. De ce principe M. Delbœuf croit pouvoir tirer cette conséquence importante, que la trajectoire d'aucun des points d'un système soumis à un ensemble de forces initiales et constantes (c'est l'hypothèse du mécanisme universel) ne peut se composer de parties de lignes d'équations différentes, ou en un mot ne peut être discontinue. Si, dans une certaine étendue finie, cette trajectoire est réellement et objectivement une ellipse, ou un cercle, ou une parabole, ou une droite, on peut être certain que la figure entière est une ellipse, ou un cercle, ou une parabole, ou une droite. M. Delbœuf appuie sa démonstration, au fond, sur le principe de raison suffisante. Ce point mobile que l'on considère décrit pendant un temps une ligne déterminée; les forces qui le déterminent se font donc équilibre d'une certaine façon, et sa trajectoire est la résultante de cette action; or, où serait la raison suffisante, «la cause d'un changement quelconque qui viendrait affecter la trajectoire après ce temps fini?» Si donc le changement d'un arc de cercle réel en réelle ligne droite se produit, s'il y a des mouvements discontinus en vérité et en réalité, ce sera, selon M. Delbœuf, la preuve qu'une cause différente des causes initiales de l'univers est intervenue, et cette cause sera (disons plutôt pourra être) la liberté. Il ne resterait donc plus, pour démontrer mécaniquement la réalité du libre arbitre, qu'à démontrer la réalité des mouvements discontinus. Ici, M. Delbœuf prend son crayon, et ce crayon va résoudre le problème sur lequel se sont consumés les métaphysiciens. «Voici: Je prends mon crayon, je trace une ligne droite, je m'arrête; puis un peu plus loin je décris un arc de cercle. Ce tracé, il est de toute impossibilité de l'attribuer aux seules forces initiales qui ont dirigé ses premiers linéaments.» Seule, la liberté l'explique. M. Delbœuf remet même spirituellement la démonstration de la liberté à un personnage plus modeste qu'un géomètre; il n'a pas besoin d'un homme; un animal lui suffit, par exemple le célèbre hanneton de Toppffer. «Le hanneton, parvenu à l'extrémité du bec de la plume, trempe sa tarière dans l'encre. Vite un feuillet blanc; c'est l'instant de la plus grande attente... Voici d'admirables dessins... une série de points, un travail d'une délicatesse merveilleuse. D'autres fois, changeant d'idée, il se détourne, puis, changeant d'idée, il revient, c'est une S!...» Ce hanneton en remontre aux philosophes; on appellerait volontiers cette preuve la démonstration du libre arbitre par le hanneton de Toppffer.

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